INTRODUCTION HISTORIQUE DU TEMPLE AHATHOOR N°
7 DE PARIS
Par Jean-Pascal Ruggiu & Nicolas Tereshchenko,
Imperator & Praemonstrator actuels du Temple Ahathöor
de Paris
de l'Ordre Rosicrucien de l'Alpha Oméga®
S.L. MacGregor Mathers
Le Temple Ahathöor N°7 de Paris fut le seul
Temple Français authentique et régulier de "l'Ordre
Hermétique de l'Aube Dorée" (titre officiel
Français que choisit Mathers pour traduire les termes Hermetic
Order of the Golden Dawn). Le Temple Ahathoor fut fondé
en 1893 par MacGregor Mathers, lorsque celui-ci vint s'installer
définitivement à Paris. L'histoire du Temple Ahathöor
demeurait jusqu'à présent relativement mal connue
du public; aussi la publication de ses archives permettra dorénavant
de combler cette lacune.
L'histoire du Temple de Paris se divise en quatre époques
:
- La première époque s'étend de
1893 à 1900, c'est-à-dire depuis la date de fondation
du Temple jusqu'à la date du schisme de l'Ordre Hermétique
de l'Aube Dorée.
- La deuxième époque s'étend de
1900 à 1909, période caractérisée
par la mise en sommeil provisoire du Temple Ahathoor, par la fondation
de l'Ordre Rosicrucien de l'Alpha Oméga par Mathers, par
la création des premiers Temples Américains, et
enfin par la célébration des Mystères d'Isis
à Paris.
- La troisième époque s'étend
de 1909 à 1929 environ, période marquée par
le réveil du Temple Ahathoor (sous l'égide de l'Ordre
Rosicrucien de l'Alpha Oméga) jusqu'à sa fermeture.
- La quatrième époque concerne essentiellement
la survivance et la résurgence actuelle du Temple Ahathoor.
Les documents qui permettent de reconstituer l'histoire
du Temple Ahathoor de Paris sont surtout les deux Livres des Minutes
de ce Temple.
Le premier Livre des Minutes du Temple Ahathoor couvre
la période s'étendant de 1893 à 1900. Ce
document est actuellement la propriété d'un collectionneur
anglais qui possède également la Charte originale
du Temple Ahathoor signée par Westcott le 3 Janvier 1894.
Ellic Howe et Bob Gilbert ont pu avoir accès à ce
document. A ce sujet, nous remercions vivement Bob Gilbert de
nous avoir communiqué dès 1987 une copie de ce premier
Livre des Minutes, ainsi que des copies de nombreux autres documents
de l'Ordre en 1992 afin que nous puissions réveiller le
Temple Ahathoor à Paris. Nous ne savons pas exactement
comment le premier Livre des Minutes du Temple Ahathoor a pu aboutir
dans cette collection privée, le collectionneur en question
désirant garder l'anonymat. Cependant, il semble bien que
la Charte originelle, ainsi que le premier Livre des Minutes ait
été renvoyé en Angleterre suite à
la dissolution officielle de la Golden Dawn après 1900.
Le deuxième Livre des Minutes du Temple Ahathoor
couvre la période s'étendant de 1909 à 1923.
Ces archives furent préservées par George Slater
(Frater Vincit Qui Patitur), un Américain vivant à
Paris entre 1920 et 1930 et dont le père avait été
un membre du Temple Isis-Urania de Londres. Georges Slater fut
initié le 25 Octobre 1919 au grade de Néophyte au
Temple Ahathoor de Paris; il devint Sub-Cancellarius en 1921.
Après le décès de Moïna Mathers en 1921,
Georges Slater resta en France au moins jusqu'en 1931. A une date
indéterminée, il retourna vivre à New-York
où plusieurs Temples de l'Alpha Oméga avaient été
fondés sous l'égide de l'Ordre Rosicrucien de l'Alpha
Oméga. Lors du décès de George Slater en
1962, sa veuve légua toutes ses archives à un institut
privé de New-York. Le bibliothécaire de cet institut,
plutôt embarrassé par la nature de ces documents,
les rangea dans une malle qu'il enferma dans une cave. Lors d'un
déménagement en 1990, ces papiers oubliés
furent redécouvert par le nouveau bibliothécaire
de cet institut qui chercha à les rendre au Temple Ahathoor;
il entra en contact avec Mary Greer et Robert Word, Chef de l'une
des branches Américaines de l'Ordre, l'A.O.M.R. (August
Order of the Mystic Rose) et représentant officiel du Temple
Ahathoor actuel aux USA. Robert Word décida de transmettre
une copie intégrale de ces précieuses archives aux
chefs actuels du Temple Ahathöor de Paris, et ce, en raison
des filiations historiques qui unissaient les Temples Américains
originels de l'Alpha Oméga avec le Temple Ahathöor
de Paris, Loge-Mère de l'Ordre.
Il faut ajouter à ces documents toute une série
d'articles de presse français et anglais au sujet de la
célébration des Mystères d'Isis lançés
par Mathers et Moïna vers 1900, articles dont nous donnons
la transcription complète étant donné leur
rareté.
Nous avons également retrouvé en France
certains documents du Temple Ahathoor et notamment ceux provenant
de la dernière Praemonstratrix en charge, Mme Marguerite
Voronoff (Soror Semper Ascendere). Ces documents traitent essentiellement
d'Alchimie.
Nous devons souligner que les seuls "Minutes Books"
de la G.D. et de l'A.O. qui ont survécu sont ceux du Temple
Ahathoor et qu'il s'agit donc de documents exceptionnels (à
l'exception peut-être de ceux du Temple Whare-Ra de la Stella
Matutina en Nouvelle Zélande, plus tardifs). Il faut souligner
également qu'environ la moitié des comptes-rendus
des Minutes-Books du Temple Ahathoor sont écrits en français,
bien que l'écriture soit la plupart du temps celle de MacGregor
Mathers en personne (il écrivit d'ailleurs quelques articles
en Français sur la Qabale que le Temple Ahathoor actuel
possède encore).
Bien que nous ne désirions pas alourdir cette
introduction plus que nécessaire (la lecture des Minutes-Books
étant en soi suffisamment instructive), il n'est pas inutile
toutefois d'apporter certaines précisions au sujet de l'histoire
du Temple Ahathoor.
I. LE TEMPLE AHATHOOR A L'EPOQUE DE L'ORDRE HERMETIQUE
DE L'AUBE DOREE.
Les Mathers quittèrent Londres en 1892 pour
s'établir à Paris, où ils vécurent
jusqu'au décès de S.L.MacGregor Mathers en 1918.
Plusieurs raisons avaient incité les Mathers à s'installer
en France :
- Premièrement, des raisons matérielles
: en effet, à la suite d'une dispute avec Horniman Père,
Mathers avait perdu en 1891 son poste de Conservateur du Musée
Horniman, et par conséquent son logement de fonction à
Stent Lodge, Forest Hill.
- Deuxièmement, des raisons personnelles et
familiales : Moïna désirait continuer sa carrière
artistique à Paris et rejoindre son frère, le célèbre
docteur en philosophie Henri Bergson, dont elle espérait
peut-être une certaine aide.
- Troisièmement, des raisons financières
: comme le précisait Moïna dans l'une de ses lettres,
la vie à Paris était moins chère qu'à
Londres en ce temps-là.
- Quatrièmement, des raisons ésotériques
: Paris était à la Belle-Epoque, la capitale de
l'Occultisme. Moïna indiqua d'ailleurs que son mari avait
reçu l'ordre de ses Maîtres de transférer
ses activités occultes à Paris (préface de
Juillet 1926 à la quatrième édition de "The
Kabbalah Unveiled" de S.L.Mathers).
Ce dernier point soulève évidemment le
problème de l'identité des fameux "Chefs Secrets
du Troisième Ordre" auxquels Mathers se référait
constamment.
MATHERS ET LES CHEFS SECRETS.
Lors d'un premier voyage à Paris en Juillet
1891, Mathers écrivait à Westcott "qu'il avait
été en contact avec Frater Lux Ex Tenebris et d'autres
Chefs (secrets)". Mathers a toujours prétendu qu'il
avait reçu les enseignements et les rituels de l'Ordre
Intérieur de la Rosae Rubeae & Aureae Crucis en France
à l'Automne 1891, de la part d'un Adepte qu'il désignait
sous la devise de Frater Lux Ex Tenebris. Vers 1900, les Adeptes
de la G.D. croyaient que ce fameux Frater Lux Ex Tenebris était
un certain Dr Thiessen, un Belge vivant à Liège
qui était un membre des hauts grades de l'Ordre Martiniste.
Selon nos recherches, il est possible que le Dr Thiessen
aurait été le descendant d'Antoine Thys, un théologien
d'Anvers qui aurait été un membre du Chapitre Rosicrucien
de Cassel fondé par le comte Maurice de Hesse-Cassel en
1615, du moins si l'on en croit les travaux d'un historien belge,
Charles Rahlenbeck. Ces travaux furent présentés
lors de la Conférence Internationale des Rose+Croix Franc-Maçons
de Bruxelles en 1888. Or, Mathers et Westcott, en leur qualité
de Franc-Maçons et membres des hauts grades de la Societas
Rosicruciana In Anglia devaient connaître les travaux de
cette fameuse Conférence Internationale des Rose+Croix
qui, curieusement, eût lieu en 1888, date de fondation non
seulement de la G.D., mais aussi de l'Ordre Martiniste et de l'Ordre
Kabbalistique de la Rose+Croix en France. Cette date de 1888 ne
fut certainement pas choisie par hasard, car elle correspond au
cycle de 111 ans de la Fraternité de la Rose+Croix d'Or
Allemande, dont le système de grades avait été
réorganisé en 1777 (grades que la S.R.I.A. et la
G.D. adoptèrent).
Bien que beaucoup d'auteurs ont mis en doute les affirmations
de Mathers concernant ses contacts avec les fameux Chefs Secrets
du Troisième Ordre, nous avons découvert la preuve
qu'il avait bien reçu une transmission initiatique provenant
de l'Ordre de la Rose+Croix d'Or Allemande. En effet, un certain
nombre de rituels de la R.R.&.A.C. (comme par exemple le Rituel
de la Croix Qabalistique, celui du Pilier du Milieu et les Rituels
de Consécration des Armes Magiques de l'Adeptus Minor)
s'inspirent d'un document extrêmement secret de l'Ordre
de la Rose+Croix d'Or Allemande : il s'agit d'un commentaire ésotérique
du VIIème Livre de Moïse qui diffère complètement
de ceux qui ont été publiés jusqu'à
présent. Ce document est intitulé "Das VII
Buch Mosis" (Wittenberg, Anno 1505)".
Bien que cette version secrète du VIIème
Livre de Moïse soit datée de 1505, elle a été
certainement remaniée vers 1785 par les Frères Initiés
d'Asie, car elle a été visiblement influencée
par l'Ecole Qabalistique de Shabattaï Zevi. En effet, la
Fraternité des Frères Initiés d'Asie avait
la particularité d'être la branche Qabalistique des
Rose+Croix d'Or Allemands, car elle acceptait parmi ses membres
des Juifs qui se rattachaient à l'Ecole Qabalistique Polonaise
de Shabattaï Zévi. Contrairement à ce que de
nombreux historiens avaient cru jusqu'à présent,
nous avons découvert la preuve que les Frères Initiés
d'Asie ne disparurent pas vers 1800, mais qu'ils survécurent
au sein de la Loge Maçonnique de l'Aurore Naissante de
Francfort-sur-Main, loge qui fut reconnue par la Grande Loge Unie
d'Angleterre en 1817. Kenneth MacKenzie (le rédacteur des
Manuscrits Chiffrés de la G.D.) connaissait certainement
l'existence de la Loge de l'Aurore Naissante puisque il prétendait
avoir été initié dans sa jeunesse chez les
Rose+Croix de Vienne, en Autriche, dans l'entourage du Comte Apponyi
qui fut ambassadeur d'Autriche à Paris. Vienne avait été
longtemps le siège de la Fraternité des Rose+Croix
d'Or en Autriche; mais à l'époque où MacKenzie
vivait à Vienne, vers 1840, la seule branche des Rose+Croix
d'Or qui avait survécu était celle des Frères
Initiés d'Asie qui avaient trouvé refuge dans le
sein de la Loge Maçonnique de l'Aurore Naissante à
Francfort-sur-Main. C'est d'ailleurs dans cette ville que la Réforme
des grades et des rituels de la Rose+Croix d'Or d'Ancien Système
avait eu lieu en 1777.
MacKenzie s'inspira des enseignements Qabalistiques
des Frères Initiés d'Asie pour créer les
rituels de la G.D. Il existe effectivement de nombreux points
communs entre le système qabalistique de la G.D., celui
des Frères Initiés d'Asie, et celui indiqué
dans le VIIème Livre de Moïse. Or, le commentaire
secret de ce livre révèle une partie des Rituels
Théurgiques pratiqués au Grade de Magister Templi
par la Fraternité de la Rose+Croix d'Or originale. Comme
ces rituels sont toujours secrets et qu'ils ne peuvent s'obtenir
que par transmission initiatique et avec l'autorisation du Collège
Interne de la Rose+Croix d'Or, même encore actuellement,
nous estimons que cela constitue la preuve formelle que Mathers
avait bien reçu cette transmission. Nous savons qu'il possédait
aussi des manuscrits alchimiques provenant des Rose+Croix d'Or
Allemands, puisque nous possédons une copie de ces documents
transcrits et traduits de sa propre main (par exemple le "Sigillum
Secretorum Magnalia Dei Optimi Maximi"). Il n'est pas du
tout impossible qu'il ait reçu la communication du commentaire
qabalistique secret du VIIème Livre de Moïse de la
part d'un adepte de l'Ordre Martiniste, car les Chefs de la Loge
de l'Aurore Naissante (tous membres du Synédrion des Frères
Initiés d'Asie) comme Hirschfeld et Joseph Molitor furent
en contact avec la toute première génération
Martiniste, comme Louis Claude de Saint Martin et Rodolphe de
Salzmann à Strasbourg par l'intermédiaire des loges
du Rite Ecossais Rectifié.
Nous devons également souligner que le secret
qui entoure ce commentaire qabalistique du VIIème Livre
de Moïse s'explique par le fait qu'il contient des rituels
de type "tantrique" ou sexuels qui proviennent de l'Ecole
Qabalistique de Sabathaï Zévi. Or nous savons, par
certaines allusions contenues dans la correspondance entre les
Temples Américains et la Loge-Mère de l'Alpha Oméga,
que Mathers avait communiqué aux membres du Grade d'Adeptus
Exemptus des enseignements de cette nature (appelée aussi
"Alchimie Interne"), ce qui avait d'ailleurs provoqué
leur démission; en effet, la plupart de ces membres appartaient
à la pudibonde Société Théosophique
et avaient été choqués, voire scandalisés
par des enseignements qu'ils jugeaient "impurs". Ces
faits prouvent en tous cas que Mathers avait bien reçu
une grande partie du Corpus Hermeticum du grade de Magister Templi
des Frères de la Rose+Croix d'Or ou des Frères Initiés
d'Asie, y compris une partie du Corpus Alchimique (Externe et
Interne), mais non pas toutefois l'intégralité de
ce corpus. En effet, seuls les membres du grade de Magus possèdaient
le corpus alchimique et théurgique complet contenu dans
un document secret appelé le Thesaurus Thesaurorum A Fraternitate
Rosae Et Aureae Crucis Testamento (1580).
Bref, ce que nous savons de façon certaine,
c'est que les documents et les rituels de l'Ordre Intérieur
de la Rosae Rubeae & Aureae Crucis proviennent en grande partie
de documents très secrets du grade de Magister Templi de
la Fraternité de la Rose+Croix d'Or allemande. Nous possédons
la preuve de cette assertion; cependant, étant donné
la nature extrêmement secrète de ces documents (qui
nous ont été communiqué sous le sceau du
serment par le Collège Interne des Rose+Croix d'Or), nous
ne pouvons les publier. Toutefois, nous avons eu l'autorisation
de les communiquer (sous notre responsabilité) aux membres
du Grade d'Adeptus Exemptus 7° = 4° de la R.R.&.A.C.
Jusqu'à présent, nous les avons transmis à
un seul initié de ce grade aux U.S.A. qui détient
une partie des filiations américaines de l'Alpha Oméga.
Mathers prétendait aussi que l'un des ses Maîtres
Secrets était un initié français, d'origine
écossaise, vivant à Paris, qu'il désignait
sous la devise mystique de "Frater Lux Ex Septentriones".
Cet initié était peut-être apparenté
avec la famille des Stuarts, dont il existe encore un descendant
en France. Mathers appartenait d'ailleurs à une société
secrète Jacobite appelée "The White Rose Society".
LE TEMPLE AHATHOOR OU LE TEMPLE AUX DEUX GRIFFONS
Le 20 mai 1892, les Mathers quittèrent Londres
pour Paris où ils s'installèrent provisoirement
au 79 rue Miromesnil, 8ème. Ils déménagèrent
ensuite le 1er Janvier 1893, pour un appartement plus spacieux
au 1 Avenue Duquesne, 7ème, près de l'Ecole Militaire
et de l'Hôtel des Invalides; c'est dans cet appartement,
que les premières réunions du Temple Ahathoor eurent
lieu. Le Temple Ahathoor N° 7 fut consacré officiellement
le Samedi 6 Janvier 1894 à 20 H 30 au 1 avenue Duquesne
par Soror Fortiter et Recte (Annie Elizabeth Frederika Horniman),
que Mathers avait invité à Paris en reconnaissance
de sa généreuse aide financière. Westcott
était également venu à Paris pour cette grande
occasion. Il signa avec Annie Hornimann la Charte du Temple Ahathoor
dont Mathers était bien sûr l'Imperator.
En 1895, les Mathers s'installèrent dans une
villa d'Auteuil (alors une banlieue, pas encore une partie du
16ème arrondissement de Paris). Mathers avait choisi ce
lieu pour une raison hautement initiatique que nous ne souhaitons
pas divulger ici (disons simplement que ses véritables
"Chefs Secrets" n'habitaient pas loin). Cette villa,
qui devint le siège du Temple Ahathoor jusqu'à la
fin de la vie de Mathers, est bien cachée des regards :
elle se trouve en effet dans une cour intérieure abritant
un petit jardin entouré de beaux immeubles datant du XIXè
siècle, assez hauts pour masquer complètement la
villa. Trois rues délimitent le pâté de maisons
où étaient situés les trois entrées
(très discrètes) de la villa : au 87 avenue Mozart,
au 43 rue Ribéra et au 41 rue de la Source. Toutes ces
adresses apparaissent bien dans le Livre des Minutes du Temple
Ahathoor, mais elles ont fait croire à beaucoup d'auteurs
que les Mathers avaient souvent changé de domicile, ce
qui n'est pas le cas : il s'agit simplement des 3 entrées
différentes de la même villa. Il existait une entrée
pour le jardin (située avenue Mozart), une pour la résidence
privée (rue de la Source) et une pour le Temple Ahathoor
(rue Ribéra).
L'entrée du Temple est constituée par
un grande porte cochère encadrée de deux griffons
sculptés dans la pierre. Cette porte donne accès
à un grand hall voûté qui servait de pièce
principale pour le Temple. Au fond de cette salle se trouve une
belle envolée d'escaliers en marbre blanc avec une rampe
en bronze doré donnant accès aux étages supérieurs
de la villa. Cet escalier monumental servait d'estrade (de "Dais")
où trônait les Adeptes de l'Ordre. Il était
bordé de chaque côté par quatre panneaux représentant
les déités égyptiennes dont Ithell Colquhoun
a donné la reproduction dans son livre "The Sword
of Wisdom". La villa est entouré d'un beau jardin
dans lequel trône une étrange statue.
LES INITIÉS DU TEMPLE AHATHÖOR
La plupart des membres du Temple Ahathöor furent
au début des anglais ou des américains expatriés
en France. Le temple compta en effet très peu de français
au départ, et ce malgré l'initiation du fameux "PAPUS"
(le Dr. Gérard d'Encausse), fondateur et Grand Maître
de l'Ordre Martiniste et "pape" de l'occultisme en France
après le décès d'Eliphas Lévi. L'Ordre
Martiniste était le seul ordre français à
avoir été reconnu par l'Aube Dorée, comme
le prouve un document de l'Ordre Intérieur, nommé
"General Orders" et datant de 1895, qui stipulait les
recommandations suivantes:
"Nous vous invitons à parler toujours avec
tolérance et respect de toutes les autres écoles
de véritable occultisme, ainsi que de la philosophie orientale
en contraste avec l'hermétisme et la Fraternité
Rosicrucienne. Les oeuvres de l'école de Lake Harris devraient
être évitées; l'H.B.L. (la Fraternité
Hermétique de Louxor) est condamnée, de même
que, bien sûr, les enseignements lucifériens ou palladiens;
la soi-disant Rose+Croix de Sar Peladan est considérée
comme une perversion ignorante de la Fraternité Rosicrucienne,
elle ne contient aucune connaissance véritable et n'est
même pas digne du titre d'ordre occulte. Les messes noires
ressortent, comme elles l'avouent, du domaine de la magie noire;
les Martinistes, aussi longtemps qu'ils adhéreront aux
enseignements de leur fondateur, seront en harmonie avec la R.R.
& A.C. ["Rosae Rubeae et Aureae Crucis", le nom
du Second Ordre, ou Ordre Intérieur de l'Aube Dorée]."
On voit, par ce document interne extrêmement
clair, que les adeptes de l'Aube Dorée étaient très
bien renseignés sur les autres ordres initiatiques français,
et qu'ils se considéraient comme les seules véritables
Rose+Croix, avis que nous ne pouvons que partager si l'on considère
la haute teneur des enseignements théurgiques de l'a G.D.
en comparaison des bien pâles imitations "rosicruciennes"
françaises de l'époque.
Bien que Papus ait été initié
officiellement le 23 mars 1895 au grade de Neophyte dans le Temple
Ahathöor N° 7, et que pour cette occasion la cérémonie
de son admission ait été célébrée
pour la première fois en français, il ne dépassa
jamais ce grade. Il faut chercher les raisons de la désaffection
de Papus vis-à-vis de l'Aube Dorée dans le fait
qu'il voyait d'un mauvais oeil l'installation en France d'un ordre
rosicrucien étranger qui pouvait concurrencer son Ordre
Martiniste et surtout l'Ordre Kabbalistique de la Rose+Croix qu'il
avait créé avec Stanislas de Guaita en 1890. Il
fit à ce sujet une allusion sans équivoque possible:
"Le mouvement Rose+Croix aurait continué
dans le silence, ou à l'abri d'autres organisations initiatiques,
si des occultistes étrangers n'avaient prétendu
arracher à la France - lieu d'élection des traditions
occidentales - à ses origines, pour l'entraîner dans
un mouvement qui devait changer l'axe de gravitation de l'ésotérisme
pour le placer hors de Paris. [...] Il eût été
sacrilège de laisser anéantir l'oeuvre des maîtres
d'occident. Aussi fut-il décidé en haut lieu qu'un
mouvement de diffusion serait entrepris, destiné à
selectionner par le travail et l'examen, les initiés capables
d'adapter la tradition ésotérique au siècle
qui allait s'ouvrir."
Cette déclaration intempestive visait peut-être
plus la Société Théosophique de Mme Blavatsky
(que Papus avait quitté avec fracas) que l'Ordre Hermétique
de l'Aube Dorée. Il existe de nombreuses analogies entre
l'Ordre Martiniste et la G.D. Par exemple, la disposition des
officiers d'une "heptade" (loge) Martiniste n'est pas
sans rappeler celle des officiers de l'Aube Dorée. L'étude
de la Qabale est également commune aux deux Ordres, mais
il existe une différence fondamentale entre l'Ordre Martiniste
et l'Aube Dorée : l'Ordre Martiniste est une Fraternité
essentiellement "Christique" et mystique dans lequel
la Théurgie intervient peu, alors que l'Ordre Hermétique
de l'Aube Dorée est une école de Qabale Pratique
orientée vers la Magie Cérémonielle.
Malgré la défection du Grand-Maître
de l'Ordre Martiniste, plusieurs membres de l'Aube Dorée
furent affiliés à cet Ordre, que Papus avait fondé
en 1888; parmi eux, citons William Thomas Horton, le Révérend
Ayton, et William Peck. Il est également certain que W.B.
Yeats et A.E. Waite eurent des contacts avec les Martinistes de
Paris, sans compter MacGregor Mathers lui-même, bien entendu.
Bien que le Temple Ahathöor N°7 ait compté
peu de membres, puis qu'il enregistra seulement 27 initiés
(15 femmes et 12 hommes) au cours des 64 réunions qui eurent
lieu entre 1894 et 1900, il reçu néanmoins de nombreuses
visites de la part des membres de l'Ordre Intérieur du
Temple Isis-Urania de Londres jusqu'en 1900, date du début
des troubles qui s'élevèrent entre Mathers et ses
disciples. De plus, comme les Mathers, les Nisbets et les Durands
étaient tous membres de l'Ordre Intérieur, le Temple
Ahathöor posséda certainement sa propre "Voûte
des Adeptes", construite grâce au talent artistique
de Moïna Mathers. Elle fut érigée sans doute
dans la villa des Mathers, au 87 rue Mozart à Auteuil;
d'après les informations que nous avons pu recueillir auprès
d'un antiquaire, les murs heptagonaux de la Voûte des Adeptes
étaient construits avec des paravents en toiles peintes.
L'un des seuls membres français de la première
époque du Temple Ahathoor à avoir atteint le grade
d'Adeptus Minor fut Eugène JACOB (1847-1942), un astrologue,
plus connu sous le pseudonyme d'ELY STAR, qui écrivit en
1887 un ouvrage intitulé "Les Mystères de l'Horoscope".
Il fut initié au grade 0°= 0° de Néophyte
le 22 août 1896 et élevé au grade 5°=
6° d'Adeptus Minor le 25 février 1898; il devint même
le Hiérophante du Temple Ahathöor en septembre 1899.
Il était astrologue professionnel et relança en
France l'astrologie égyptienne telle qu'elle fut exposée
par Paul Christian (un ami d'Eliphas Lévi) dans les années
1860. Son épouse était tarologue et devint membre
d'Ahathöor en novembre 1896. Selon le grand astrologue Volguine,
plusieurs des confrères astrologues d'Ely Star auraient
appartenus au Temple Ahathöor N° 7. C'est du moins ce
qu'il prétend dans un numéro spécial des
"Cahiers Astrologiques" (N° 109, Avril 1964), consacré
à l'astrologie dans les sociétés secrètes
et où il abordait l'astrologie de l'Aube Dorée.
Parmi les astrologues en question, Volguine cite Abel
THOMAS (plus connu sous son pseudonyme d'Abel HAATAN). Bien que
le nom d'Abel Thomas ne figure nulle part dans aucun des deux
Livres des Minutes du Temple Ahathoor, il est intéressant
de mentionner qu'il fut le Grand Maître de la Franc-Maçonnerie
Egyptienne en France et le Vénérable Maître
de la Loge de l'Arc-en-Ciel de l'Ordre Maçonnique de Misraïm.
Il s'opposa à l'initiation de Papus dans la Franc-Maçonnerie
Egyptienne. Son frère, Alexandre-Albéric Thomas,
fut également membre de l'Ordre Rénové du
Temple fondé par René Guenon, lui aussi un ennemi
de Papus qui l'avait exclu de son Ordre Martiniste. Alexandre
Thomas fut l'associé de Pierre Dujol qui tenait la "Librairie
du Merveilleux". Or Dujol était un grand alchimiste
et l'ami de Fulcanelli qui fréquentait Ferdinand de Lesseps,
lui-même initié dans les hauts grades de la Franc-Maçonnerie
Egyptienne et dans une société secrète Egyptienne
appelée "les Frères d'Héliopolis".
Il est donc fort probable que Mathers ait été en
contact avec toutes ces personnes par l'intermédiaire de
Frater Ely Star (et aussi de Soror Semper Ascendere, Mme Voronoff),
ce qui éclaire d'une lumière considérable
les relations qu'il pouvait entretenir avec les milieux initiatiques
français.
A partir de 1898 environ, les minutes du Temple Ahathöor
N° 7 indiquent qu'un nombre croissant de français furent
initiés; comme la plupart des membres anglais et américains,
tous sont d'illustres inconnus. Cependant les Mathers reçurent
la visite de nombreux membres du Temple Isis-Urania N°3 de
Londres, qui participèrent souvent aux cérémonies
du Temple Ahathoor, dont Maud Gonne (qui vécu pendant un
moment aussi à Auteuil), W.B.Yeats, Florence Farr, Percy
Bullock, Pamela Carden, Frederick Leigh Gardner, Allan Bennett
(qui fut élu membre honoraire du Temple Ahathoor) et bien
sûr Aleister Crowley.
L'AFFAIRE "HOROS".
La première époque de l'histoire du Temple
Ahathoor s'achèva vers 1900, suite à la visite de
trois imposteurs qui se firent passer pour des membres du Temple
Américain Thmé N°8. Cette visite "officielle"
allait s'avérer catastrophique pour Mathers et pour la
bonne réputation de l'Ordre. Il s'agissait en fait d'un
couple d'escrocs qui se faisait appeler les HOROS, et qui était
accompagné de l'une de leurs dupes, le Dr Rose Adams.
"Madame Horos" réussit à se
faire passer auprès de Mathers pour la fameuse Soror Sapiens
Dominabitur Astris ("Mme Sprengel"), la soi-disant Adepte
allemande qui aurait autorisé Westcott à relancer
l'Ordre en Angleterre. Elle présenta ses deux compères
comme étant des membres du Temple Thmé N°8,
son mari, Théo Horos (de son vrai nom Frank Jackson) étant
pour l'occasion Frater Magus Sidera Regit 4°=7°, et le
Dr Rose Adams Soror Sapientia Ad Beneficiendum Hominibus 2°=9°.
Les trois imposteurs assistèrent à une assemblée
solennelle du Temple Ahathoor (qui eût lieu le Vendredi
le 16 Février 1900) où ils furent même élus
"membres d'honneur" du Temple en tant que "visiteurs
de marque du Temple Thmé N°8 en Amérique".
Evidemment, celà implique qu'il existait déjà
à cet époque un Temple de la G.D. en Amérique.
L'histoire de ce temple est obscure. Dans son livre "The
Golden Dawn Companion", Bob Gilbert s'est interrogé
sur ce mystérieux Temple "Thmé" : il suppose
qu'il s'agissait en fait du Temple "Thoth-Hermès"
de Chicago ou de Philadelphie. C'est inexact, car le Temple Thoth-Hermès
était situé à New-York et non pas à
Chicago. Une certaine confusion semble régner dans la numérotation
des Temples Américains. En effet, bien que dans le second
Minute Book du Temple Ahathoor, Mathers indiquait en Juillet 1911
que le Temple Thoth-Hermès de New-York portait le N°8,
les documents de ce Temple datant de 1920 indiquent qu'il portait
le N°9. D'autre part, Mathers mentionne également dans
le même Minute-Book un autre Temple de New-York, le Temple
Neith N°10. Pourtant vers 1922, les documents américains
de l'Alpha Oméga précisent que le Temple N°10
était celui de Philadelphie et qu'il s'appelait "Ptah
N°10"; à la même époque il existait
aussi un Temple de l'Alpha Oméga à Los-Angelès,
appelé "Atoum N°20 (la numérotation des
Temples de l'Alpha Oméga suit celle des lettres hébraïques).
En fait, le Temple Thmé N°8 fut sans doute
la première tentative de fondation d'un temple en Amérique,
tentative qui fut semble-t-il un échec. Selon Paul Foster
Case, le premier temple américain de l'Ordre aurait été
créé à New-York en 1897 par les Lockwoods,
un couple de Théosophes assez influents auxquels Mathers
aurait accordé le grade honorifique d'Adeptus Exemptus.
Paul Foster Case prétend que les Lockwood étaient
allés à Paris pour recevoir ce grade, mais les Minutes
Books du Temple Ahathoor ne mentionnent pas cette évènement;
d'ailleurs, selon les archives de la Société Théosophique
de New-York, les Lockwood n'étaient même pas encore
affiliés à une loge théosophique en 1897
! De plus, selon les documents de l'Ordre Rosicrucien de l'Alpha
Oméga, ils ne reçurent la Charte qui les autorisaient
à fonder le Temple Thoth-Hermès N°9 de New-York
qu'en 1904.
Le nom du nouveau Temple américain semble avoir
été "Thmé" ou "Thémis",
nom égyptien ou grec de Maat, déesse de la Vérité
et de la Justice. Darcy Kuntz mentionne dans son livre "The
Golden Dawn Source Book" que la Charte du Temple Thmé
N°8 aurait été accordé en 1897 à
un certain George W. Wiggs (Frater Amor Lux et Labor) de Chicago,
dont nous ne savons rien. Il indique aussi qu'il aurait été
initié au grade de Néophyte au sein du Temple Thoth-Hermès,
ce qui est impossible puisque ce Temple n'existait pas encore
à cette date.
Charles Rosher (Frater Aequo Animo) raconta à
Aleister Crowley que Madame Horos avait probablement appris tout
ce qu'elle savait au sujet de la G.D. de la part de membres américains
de l'Ordre qu'elle avait rencontrée auparavant à
New-York. Peut-être s'agissait-il des Durands, un couple
d'artistes juifs américains qui furent membres de l'Ordre
Intérieur du Temple Ahathoor pendant plusieurs années.
James Madison Durand (Frater Judah, puis Melitzah) fut même
Hiérophante du Temple Ahathoor en 1896. Il quitta la France
avec son épouse en 1897 pour retourner vivre aux U.S.A.
Mme Horos avait sans doute fait la connaissance de ces initiés
de la G.D. (les Durands?) au sein de la Société
Théosophique dans laquelle elle s'était infiltrée
en essayant de se faire passer pour la réincarnation de
Madame Blavatsky (les membres de la G.D. étaient effectivement
presque tous membres de la Société Théosophique).
Apparemment, Mme Horos réussit à faire
croire à Mathers qu'elle était la véritable
Mme Sprengel (Soror Sapiens Dominabitur Astris) et qu'elle n'était
pas décédée comme l'avait prétendu
Westcott. Elle lui raconta aussi qu'elle était venue à
Paris pour l'aider financièrement à rétablir
les Mystères d'Isis. Mathers crut bon de saisir cette opportunité
pour renforcer son autorité, alors déjà chancelante,
auprès des Adeptes de Londres. En effet, ces derniers,
de plus en plus mécontents de l'autorité de Mathers,
souhaitaient que Westcott redevienne Chef de l'Ordre Intérieur.
Or, Mathers considérait (à juste titre d'ailleurs)
que l'Ordre Intérieur de la R.R.A.C. était sa création
personnelle. Bien que Westcott ait été obligé
de démissionner de l'Ordre suite à une dénonciation
anonyme auprès de ses supérieurs hiérarchiques,
Mathers craignait néanmoins son retour dans la direction
de l'Ordre Intérieur. Il commit alors une erreur énorme
: le 16 Février 1900, le jour même de la visite officielle
de "Soror S.D.A." au Temple Ahathoor, il prit le risque
d'avouer, dans une lettre qu'il écrivit à Florence
Farr (alors Chef de l'Ordre Intérieur en Angleterre), que
Westcott avait fabriqué une fausse correspondance allemande
pour légitimer les filiations de l'Ordre et que celui-ci
n'avait jamais été en contact avec la vraie Soror
S.D.A. qui était maintenant avec lui à Paris.
Bien évidemment, cette révélation
provoqua une crise de confiance de la part de tous les membres
de l'Ordre Intérieur de Londres. Cela se transforma en
véritable catastrophe pour Mathers lorsqu'il se rendit
compte, trop tard, que Mme Horos n'était qu'un imposteur
doublé d'un escroc. Dans sa crédulité, Mathers
lui avait même confié tous les rituels de l'Ordre
Extérieur, rituels qu'elle utilisa plus tard pour fonder
une fausse Golden Dawn en Angleterre, après avoir tenté
vainement de s'infilter dans la véritable Golden Dawn à
Londres. Avertis par Mathers, les adeptes de Londres démasquèrent
le couple Horos, mais cela ne fut pas suffisant pour éviter
le scandale. En effet, en 1901, le couple Horos fut arrêté
par la police et fut condamné à la prison pour le
viol d'une mineure. Lors du procès, la victime raconta
qu'elle avait été initiée par les Horos dans
l'Ordre de la Golden Dawn. Le nom de l'Ordre fut traîné
dans la boue par les journaux à scandales anglais. Ses
rituels furent même partiellement publiés. A la suite
de ce scandale, beaucoup de membres quittèrent l'Ordre
qui changea tout d'abord de nom en 1902, puis qui fut dissous
en 1903. Il éclata en plusieurs branches rivales dont les
trois principales furent la Stella Matutina dirigée par
Felkin, l'H.O.G.D. dirigé par Waite, et l'Alpha Oméga
dirigé par Mathers et Brodie-Innes.
Suite au scandale lié à l'affaire Horos
et aux querelles internes de la G.D., Mathers dût mettre
en sommeil le Temple Ahathoor jusqu'en 1909. Le Livre des Minutes
pour la période s'étendant de 1909 à 1923
montre bien qu'il ne restait plus aucun membre ayant appartenu
au premier Temple, à l'exception des Mathers. Toutefois,
ceux-ci n'interrompèrent pas complètement leurs
activités ésotériques, mais ils le firent
sous la couverture des Mystères d'Isis. En effet, les Mathers
avait lancé en 1898 le Culte d'Isis à Paris, qui
connu une vogue certaine à la Belle-Epoque. Le culte d'Isis
était semi-publique et il servit en quelque sorte de cercle
extérieur pour le recrutement du Temple Ahathöor lors
de son réveil en 1909.
LE TEMPLE AHATHOOR A L'EPOQUE DES MYSTERES D'ISIS.
Les Mathers commençèrent à lancer
le Culte d'Isis au Théâtre de la Bodinière
où se déroulèrent les représentations
publiques des cérémonies Isiaques. Presques toutes
les informations que nous possédons à ce sujet,
proviennent d'un article écrit en anglais par Frederic
LEES dans "The Humanitarian" (février 1900) et
d'un article écrit en français par André
GAUCHER dans les N° 94 & 95 de "L'Echo du Merveilleux"
(décembre 1900), articles que nous reproduisons tous deux
ci-dessous intégralement, en commençant par l'article
de Frederic Lees.
LE CULTE D'ISIS A PARIS.
Conversations avec l'Hiérophante Ramsès
et la Grande Prêtresse Anari.
"A travers les rideaux de mousseline jaune à
ma droite entrait la lumière tamisée d'un matin
de mi-octobre. La statue ailée d'Isis me faisait face,
son disque cornu entouré d'une auréole de lumière
diffuse qui pénétrait à travers les interstices
des volets d'une autre fenêtre derrière moi. Une
gerbe de fleurs était déposée à ses
pieds, et de chaque côté d'elle se trouvaient des
lotus - le symbole de la résurrection. Mes pensées
furent transportées des milliers d'années en arrière
dans le passé, avant le temps de J.C. - Je compris que
je me trouvais dans un petit temple d'Isis. De tous les côtés
se présentaient les évidences de la religion des
anciens égyptiens; ici près de l'autel, les représentations
d'Osiris et de Nephtys, d'Horus et d'Harpocrates; là, devant
l'autel, une lampe triangulaire faite d'une pierre verte, d'où
sortait une petite langue de flamme blanche, jamais éteinte.
L'odeur pesante d'encens, témoin d'une cérémonie
récente, se mélangeait au parfum des fleurs.
J'étais en train d'examiner l'étrange
lampe verte quand une voix à mon côté interrompit
mes pensées. C'était l'Hiérophante Ramsès
qui parlait. A son côté se tenait sa femme, la Grande
Prêtresse Anari.
"Je vois que vous admirez la lampe Thibétaine",
dit-il. Et il se mit, avec l'enthousiasme d'un vrai archéologue,
à me raconter son histoire. "Un très beau symbole!"
s'exclama-t-il. "Elle a été apportée
de Lhassa, la cité sacrée. Notez que ses trois côtés
ne sont pas parfaitement droits, qu'elle a la forme d'un bateau,
d'une flamme. La lampe est symbolique, comme l'est tout dans notre
belle religion. Rien de ce que vous voyez ici n'est sans un sens,
rien ici n'est inutile. Par exemple, voici un sistrum qui est
secoué dans nos cérémonies. Un des côtés
de la partie en bois de cet instrument représente l'Alpha,
le commencement, l'autre côté, la fin, l'Oméga;
la partie en métal symbolise l'arche du ciel; les quatre
tiges métalliques sont les quatre éléments.
Notez que sur chaque tige sont enfilés cinq anneaux qui
représentent, quand on agite le sistrum, la mise en action
des forces de la nature par l'Esprit Divin de la vie. De même
pour nos vêtements, comme je vous l'expliquerais plus tard.
Et maintenant, allons dans l'autre pièce où nous
pourrons nous asseoir et parler ensemble plus à l'aise."
Cinq minutes plus tard Monsieur le Comte et Madame
la Comtesse MacGregor de Glenstrae me racontaient comment ils
se sont trouvés en train de ressusciter à Paris
le culte de l'adoration d'Isis, les espérances qu'ils ont
pour ce culte, et les belles vérités qu'ils avaient
découvertes au cours de leurs études de cette religion,
morte pour les égyptologues, mais pour eux si vivante et
pleine de forces vitales.
"Vous m'avez demandé", dit l'Hiérophante
Ramsès, le nom sous lequel le Comte MacGregor, un gentilhomme
écossais de fortune, officie dans les messes d'Isis qu'il
célèbre chez lui dans la rue Mozart, à Passy,
une banlieue chic de Paris, "comment nous avons commencé
à faire revivre cette religion ancienne. La réponse
est simple. Au cours de nos études de la religion égyptienne
nous avions trouvé certaines vérités perdues;
en les redécouvrant nous nous sommes convertis au culte
d'Isis. Ce renouveau, vous voyez, était à l'origine
quelque chose d'entièrement privé; nous n'avions
aucune intention de convertir d'autres personnes jusqu'à
ce qu'un événement changeât complètement
notre intention. Mais avant que je vous raconte ce qui arriva,
il faut d'abord que je vous dise ceci: beaucoup de gens regardent
notre propagande d'un mauvais oeil, avec l'impression que nous
avons entrepris de reprendre le culte d'Isis tel qu'il le devint
dans sa période de décadence. Mais ceci est très
loin de notre but. Nous sommes allés bien au-delà
du culte dégénéré en revenant au temps
où le culte d'Isis avait sa forme primitive originale quand
il n'avait pas encore été encombré et surchargé
par des additions, comme il le fut dans les périodes plus
tardives de l'histoire du monde. Notre culte est l'adoration d'Isis
dans sa forme la plus pure. Ceci dit, Madame la Comtesse vous
expliquera comment nous sommes arrivés à changer
la portée de notre intention."
"Cela se passa ainsi", dit la Grande Prêtrese
Anari. "Nous avons fait la connaissance de Monsieur Jules
Bois qui, comme vous le savez, s'intéresse beaucoup aux
religions et à leurs renaissances; il nous demanda de présenter
une cérémonie Isiaque au théâtre de
la Bodinière où il avait déjà donné
des conférences sur le Bouddhisme et s'était arrangé
pour présenter une messe bouddhiste. Il pensait donc que
le public serait intéressé pour connaître
quelque chose sur Isis. Mais nous ne désirions pas apparaître
en public et, par conséquent, refusâmes sa requête.
Tout ce serait arrêté là si Isis elle-même
n'était intervenue. Une nuit elle m'apparût dans
un rêve et donna sa sanction à tous les efforts que
nous pourrions faire à Paris, son ancienne cité,
pour y rétablir son culte. Nos scrupules furent balayés.
Voici comment nous en sommes venus à donner une première
représentation au théâtre de la Bodinière,
quand Monsieur Bois y fit sa conférence sur la magie égyptienne,
et nous présenta au public, comme il le fait aussi chaque
fois que nous célébrons les messes là-bas."
Moi-même j'avais été présent
à la première de ces occasions; la seconde m'avait
été décrite par un ami. L'Hiérophante
Ramsès et la Grande Prêtresse Anari apparurent les
deux fois bien sûr dans leurs robes sacerdotales: les plus
beaux costumes que jamais prêtre ou prêtresse avaient
portés; beaux parce qu'ils exprimaient tellement de choses
aux fidèles. Le prêtre était habillé
d'une longue robe blanche; autour de sa taille, une ceinture zodiacale;
sur ses bras et ses chevilles, des bracelets sacrés; de
ses épaules pendait la peau de léopard, dont les
taches symbolisent les étoiles dans l'atmosphère
universelle et ce que les théosophes appellent le corps
astral. De même, le uskh ou collier autour de son cou représente
l'abondante substance matérielle et sans limites, tandis
que les boucles pendantes de ses cheveux sont l'emblème
de la jeunesse. "La sagesse véritable est toujours
jeune". Mais le vêtement de la Grande Prêtresse
Anari est mieux adapté pour donner une bonne idée
du symbolisme de l'adorateur d'Isis. Ses long cheveux flottants
expriment l'idée des rayons de lumière irradiants
à travers l'univers. Sur sa tête est posé
un petit cône, symbole de l'esprit Divin, et une fleur de
lotus, symbole de la pureté et de la sagesse. "Le
lotus croît" dit l'Hiérophante Ramsès
"à partir des eaux pleines de boue du Nil. Le cône
est la flamme de la vie. L'habillement de la Prêtresse exprime
l'idée que la vie de la matière est purifiée
et régie par l'esprit Divin de la Vie qui vient d'en haut."
A la seconde occasion où le Comte et la Comtesse
MacGregor apparurent au théâtre de la Bodinière,
une messe d'Isis fût célébrée. Au centre
de la scène était placée la statue d'Isis,
avec de chaque côté d'elle d'autres statues de dieux
et de déesses; et devant elle, sur le petit autel, brûlait
la lampe de pierre verte. Debout devant l'autel, l'Hiérophante
Ramsès tenait d'une main le sistrum, qu'il secouait de
temps en temps, et dans l'autre main il tenait un petit bouquet
de fleurs de lotus. Il récita d'abord une prière
devant l'autel, après laquelle la Grande Prêtresse
Anari invoqua la déesse d'une voix sonore et avec une intonation
pleine de passion. Puis suivit la "danse des quatre éléments"
présentée par une jeune parisienne habillée
d'une longue robe blanche. Elle avait été récemment
convertie et avait déjà récité un
poème en vers français en honneur d'Isis. Les quatre
danses étaient: la danse des fleurs, qui symbolisait l'hommage
de la terre à la déesse égyptienne; la danse
du miroir, qui représentait les vagues de l'eau; la danse
des cheveux, symbolique du feu; et la danse des parfums, pour
l'élément air. La plupart des femmes présentes
dans l'audience étaient des parisiennes chics du grand
monde et elles avaient apportées des fleurs en offrande,
tandis que les hommes versaient des grains de blé sur l'autel.
La cérémonie entière était extrêmement
artistique.
"Dois-je comprendre", demandais-je à
l'Hiérophante Ramsès, "que votre religion est
monothéiste?"
"Nous croyons, comme nos prédécesseurs,"
fût la réponse, "que la puissance divine peut
être présente et apparaître dans les statues.
Non, nous ne sommes pas monothéistes, et pour cette raison
on nous a souvent traités d'idolâtres. Mais est-ce
que l'univers, Dieu manifesté dans la matière, n'est
pas un grand "eidolon"? Nous sommes des panthéistes;
nous croyons que chaque force dans l'univers est dirigée
par un dieu. Par conséquent, les dieux sont sans nombre
et infinis."
- Et l'objet, le but, de votre religion est donc alors
précisement le même que celui de toute autre religion?
- Précisement. Notre but est qu'elle doit être
un guide de moralité pour quiconque l'adopte. Et cette
vie nouvelle de l'une des plus anciennes religions devrait être
un agent pour le Bien dans le monde. Prenez notre Livre des Morts.
C'est le livre que Moïse lui-même a sûrement
étudié quand il vécu en Egypte; et n'y trouvons-nous
pas beaucoup de choses qui sont aussi dans la Bible? Ce qui détourne
beaucoup de personnes du culte d'Isis, c'est son symbolisme archaïque,
mais pourtant, dans mon opinion, c'est exactement celà
qui devrait les attirer. En comparant le Livre des Morts et la
Bible, nous constatons que celui-ci ressemble bien plus au Nouveau
Testament qu'à l'Ancien, malgré son extrême
antiquité. Il semblerait, par cette ressemblance, qu'il
y a lieu de croire que le Christ avait étudié le
culte d'Isis. Rappelez-vous qu'il y a une période de Sa
vie sur laquelle nous n'avons aucune information - sa vie d'enfant
en Egypte. Dans le Nouveau Testament on parle d'un fidèle
comme d'un "membre du Christ"; dans le Livre des Morts
un fidèle est appelé "membre d'Osiris".
Et puis, un des symboles d'Osiris est sa houlette du Bon Pasteur.
Quant à la beauté du langage, le Livre des Morts
est plus que tout à fait comparable au grand ouvrage chrétien.
Où, par exemple, pourriez-vous trouver des passages plus
beaux que ceux-là :
L'Hiérophante prit son Livre des Morts et lut
les lignes suivantes d'une voix pleine d'émotion et de
révérence:
"Je suis venu sur Terre et j'en ai pris possession
avec mes deux pieds. Je suis Toum et j'arrive de ma propre demeure.
Arrière, oh! Lion, avec ta bouche brillante et ta tête
penchée vers le bas, tu recules devant moi et ma puissance.
Je suis Isis et tu me vois laissant tomber sur mon visage la chevelure
qui s'étend tout autour de mon front. Je fus conçu
par Isis et engendré par Nephtys. Isis détruit tout
ce qui est mauvais en moi et Nephtys retranche tout ce qui est
rebelle."
- On m'a raconté", dis-je en m'adressant
à la Comtesse MacGregor, "que vous avez un pouvoir
sur l'atmosphère. Est-ce vrai que vous possédez
certains pouvoirs?"
- Oui, nous possédons un certain pouvoir occulte
traditionnel. Nous connaissons beaucoup de vérités
traditionnelles oubliées de nos jours excepté par
un très petit nombre de personnes. Mais ce savoir caché,
nous pouvons l'enseigner seulement à ceux qui consentent
à devenir initiés. Comme dans le passé, ainsi
à présent, nous avons des initiations sacrées.
Elles contiennent des notions théologiques sur un niveau
bien plus haut que les dogmes enseignés aux fidèles
ordinaires; elles comprennent aussi un système de magie.
L'initié doit, évidemment, jurer de tenir cette
connaissance secrète."
- Avez-vous beaucoup de disciples parmi les parisiens?"
- Un nombre croissant, et tout à fait suffisant
pour remplir notre petite chapelle. Un temple pour nos cérémonies
est en cours de construction à Paris."
Depuis cette première visite au Comte et à
la Comtesse MacGregor à la mi-octobre, j'ai eu beaucoup
d'occasions d'entendre leurs idées sur la religion, soit
à leurs réceptions, où il y avait toujours
un grand nombre d'invités, soit aux messes qu'ils célébraient.
Leurs réceptions, il faut le dire, sont parmi les plus
fascinantes à Paris. On y trouve des gens de toutes les
nuances d'opinion et de toutes les professions; des adorateurs
d'Isis, des alchimistes, des protestants, des catholiques, des
savants, des médecins, des avocats, des peintres, des hommes
et des femmes de lettres, ainsi que des personnages de haut rang.
La Grande Prêtresse Anari a des opinions très
intéressantes sur le rôle des femmes dans la religion.
"L'idée d'une prêtresse est à la racine
de toutes les anciennes croyances." Elle me dit une fois
: "Ce n'est qu'en notre temps éphémère
qu'elle est negligée. Même dans l'Ancien Testament
nous trouvons la Prêtresse Déborah, et le Nouveau
Testament nous parle de la Prophètesse Anne. Que trouvons-nous
dans le développement moderne de la religion pour remplacer
l'idée féminine et conséquemment la Prêtresse
? Quand une religion symbolise l'univers par un Etre Divin, n'est-il
pas illogique d'omettre la femme, qui en est la moitié
principale, puisqu'elle est le créateur principal de l'autre
moitié - l'homme ? Comment pouvons-nous espérer
que le monde deviendrait plus pur et moins matérialiste
si on exclut du divin, qui est l'idéal le plus haut, cette
part de Sa nature qui représente en même temps la
faculté de recevoir, et celle de donner, l'amour - c'est-à-dire
l'amour dans son aspect le plus élevé - symbole
de la sympathie universelle ? C'est là où l'on trouve
la puissance magique de la femme. Elle prend sa force dans son
alliance avec les énergies sympathiques de la Nature. Et
qu'est-ce donc que la Nature, si ce n'est l'ensemble des pensées
vêtues de la matière, ainsi que l'ensemble des idées
qui cherchent à se matérialiser? Quelle est cette
éternelle attraction entre les idées et la matière?
C'est ça le secret de la vie. N'avez-vous jamais réalisé
qu'il n'existe même pas une seule flamme sans une intelligence
particulière qui l'anime? ou un seul grain de sable sans
une intelligence, cette idée même qui l'avait formé?
Ce sont ces idées intelligentes que sont les Elémentaux
ou Esprits de la Nature. La femme est une magicienne de la Nature,
dès sa naissance, à cause de sa grande sensibilité
naturelle et innée et de sa sympathie instinctive avec
les intelligences aussi subtiles que celles des habitants de l'air,
de la terre, du feu et de l'eau."
Ces mots donnent une bien meilleure idée de
la nature intelligente et rêveuse de la Comtesse MacGregor
que ne pourraient le faire des mots à moi. Dans leur profondeur
apparaît quelque chose de mystique, d'occulte; nous y percevons
le reflet d'un esprit unique. Ce mysticisme, cette tendance vers
l'occulte, apparaît aussi dans toutes ses entreprises. C'est
évident dans ses discours et dans ses écrits, mais
plus spécialement dans ses tableaux.
Car la Grande Prêtresse Anari est une artiste
accomplie. Etudiante de Colarossi et d'autres académies
parisiennes, elle a reçu une formation solide de l'art.
Les méthodes apprises dans ces écoles, elle les
applique à sa propre manière, ne suivant le style
d'aucun maître en particulier, mais se fiant entièrement
à ses propres pensées. Ses oeuvres par conséquent
sont très originales. Ses représentations des hommes
et des femmes le sont aussi, ainsi que les objets qui les entourent
et qui n'appartiennent pas à ce monde, mais au monde de
l'imagination, le seul où, d'après son opinion,
la vraie beauté peut se trouver. Dans ses peintures il
y a beaucoup du même esprit que dans les écrits de
Fiona McLeod et, jugeant d'après un de ses tableaux inspiré
par un des contes de cet écrivain, elle serait la personne
idéale pour illustrer les oeuvres de l'auteur de "Pharaïs"
et de "Vieux Contes Celtiques Racontés de Nouveau".
Cette tendance vers l'idéal apparaît même dans
ses portraits, tel, par exemple, que celui de son mari *, accroché
derrière la porte de la salle à manger, dans lequel
il est représenté comme un Adepte Mage, avec trois
étoiles sur sa couronne et ses mains tenant la poignée,
ornementée de pierres précieuses, d'une épée
qui irradie une lumière mystérieuse.
* NOTE : Il s'agit du fameux tableau miraculeusement
retrouvé par Ithell Colqhoun qui le détenait de
la baronesse Morgan Boyd qui succèda à Moïna
Mathers en tant qu'Imperatrix de la Loge Alpha Oméga N°3
de Londres. Après le décès d'Ithell Colqhoun
ce tableau a été vendu à un acquéreur
anonyme.
Comme l'a mentionné Frederick Lees dans l'article
ci-dessus, le succès grandissant du Culte d'Isis à
Paris incita les Mathers à déménager à
Montmartre en 1900 afin d'installer leur nouveau Temple dans une
villa plus vaste entourée d'un jardin. Ce fait est rapporté
dans l'article suivant d'André Gaucher qui nous livre un
témoignage précieux sur les activités ésotériques
des Mathers à Montmartre.
ISIS A MONTMARTRE
"Je savais qu'Isis avait conservé à
Paris un culte et des autels; mais j'ignorais que les rites de
la déesse égyptienne eussent si près de moi
leurs sanctuaires. Je l'appris trop tard, hélas! La décadence
romaine a vu les dieux qui s'en vont; la décadence moderne,
plus triste encore, voit les dieux qui déménagent.
- "Vous savez qu'Isis nous quitte", me dit
un soir, en riant, M. Salanson, mon collègue de la Liberté,
qui habite rue Ribeira, à Auteuil, une maison voisine de
la mienne.
- "Comment ça?" fis-je étonné,
"Isis? la déesse?"
- "La déesse, parfaitement. Ou plutôt
ses prêtres qui habitent ici-même, rue Ribeira. Mais,
le pavillon, pardon, le temple où ils célèbraient
leur culte était devenu trop petit. Il paraît que
les adorateurs d'Isis deviennent de jour en jour plus nombreux
et plus férvents. Il leur faut maintenant un vaste jardin
où les théories des cortèges sacrés
puissent se développer à l'aise, et ils ont trouvé,
dit-on, un parc à leur convenance, au haut de la Butte.
Les mânes d'Osiris et d'Horus vont tressaillir d'aise dans
la poussière des pyramides. Vous que le "merveilleux"
intéresse, vous devriez aller voir ça."
J'étais stupéfait. Avoir eu là,
sous ma main, à ma porte, les héritiers des collèges
sacerdotaux de Memphis et d'Heliopolis et les avoir ignorés;
il y avait de quoi être vexé. Une rapide enquête
dans le quartier me convainquit de la réalité du
fait.
Et moi-même, en précisant mes souvenirs,
je me remémorais une grande figure maigre et osseuse, montée
sur une paire de longues jambes, des jambes vigoureuses de montagnard,
d'Ecossais des highlands. Le plus souvent, vêtu du veston
et du pardessus moderne, M. MacGregor avait l'air d'un bon bourgeois,
d'ailleurs seulement un peu excentrique. Mais quelques fois aussi
le souvenir des clans d'Ecosse s'imposait de telle sorte à
son imagination qu'il ne resistait pas au plaisir de revêtir
le costume national, et alors, pour la plus grande joie des gamins
de la rue Mozart, il sortait jambes nues et en plaid quadrillés,
en bariolé comme auraient dit les grenadiers de la Grande
Armée qui eurent affaire aux highlanders et qui ne détestaient
pas ces montagnards, solides, soldats et bons enfants.
Seulement je ne savais pas que M. MacGregor, l'Ecossais,
fût le grand-prêtre d'Isis l'Egyptienne, et j'ignorais
pareillement que Mme MacGregor, un beau et fin visage de femme,
aux grands yeux pensifs, à l'abondante chevelure brune,
fût elle-même la grande prêtresse de l'épouse
infortunée d'Osiris.
Vous pensez bien que ma curiosité fut hantée
au plus haut point et que je ne resistai pas à l'envie
d'escalader la Butte pour y découvrir Isis à Montmartre.
SINGULIER DECOR
Et voila pourquoi je gravis la pente raide et tournante
de la rue Lepic. Etrange, d'ailleurs, mon ascension. Il est cinq
heures; la nuit tombe, le vent souffle, emportant des flons-flons
de cabaret et des ritournelles de fête foraine par delà
les sommets du Mont des Martyrs. Voici les grandes ailes du Moulin
de la Galette d'où partirons les échos de la Valse
des Cambrioleurs repondant aux accords lointains des cistres d'Heliopolis.
Je suis ici tout au sommet de la Butte. Le décor change.
La vie parisienne, comme une vague, semble mourir sur ces hauteurs.
De l'autre côté du Mont, c'est la province, et la
rue Girardon, pierreuse et abrupte, m'entraîne, rapide,
sur l'autre versant.
Un coude. Une rue étroite, bordée de
masures et de longs murs dont les plâtras s'effritent, et
dans l'un de ces murs une porte de bois, vermoulue, branlante,
dont le locquet grince et crie à chaque poussée
du vent qui s'engouffre, impétueux, dans la ruelle. C'est
ici. J'ouvre avec un sourire à demi railleur, pensant à
part moi: "Voilà une déesse bien mal logée!"
Quelle erreur! Comme dans un conte d'Hoffmann, j'aperçois
par la porte entrebaillée le perspective d'un jardin immense,
descendant en pente douce sur les flancs de la colline. Sous le
jour crépusculaire qui s'assombrit de plus en plus, de
grands arbres, dénudés, frémissent, tandis
qu'à travers les bosquets dépouillés par
l'automne tournoie tout un lacis de petites allées mystérieuses
qui se semblent se diriger vers la façade, à peine
visible dans la pénombre, d'un vaste pavillon à
deux étages. Ce doit être là. J'entre et je
prends au hasard l'une des allées. Mais une forme humaine
se dresse devant moi.
- Que demandez-vous, monsieur? Je suis la concierge.
- Ah! la concierge d'Isis.
- Isis, connais pas. Vous devez vous tromper.
- Et M. MacGregor, le connaissez-vous?
- Oui, c'est ici, à gauche.
Et la brave femme me conduit m'expliquant que son nouveau
locataire habite provisoirement une pièce d'un petit pavillon
attenant au jardin, en attendant que la maison que j'ai tout d'abord
aperçue soit complètement aménagée.
M. MACGREGOR
Je ne me suis pas trompé. C'est bien là,
cette grande figure rase, sèche, presque ascétique,
qui m'avait frappé rue Ribeira. Des yeux glauques voilés
de lourdes paupières tombantes l'éclairent d'un
regard parfois un peu dur d'illuminé. Le grand-prêtre
me reçoit avec une bonne grâce qui rappelle évidemment
les traditions de l'hospitalité écossaise. Nous
causons. Il parle d'une voix un peu rauque et sifflante, très
forte, mais pas toujours très claire, avec un accent de
highlands qui ressemble à un écho enrhumé
des monts Granspians.
Autour de nous un prodigieux capharnaüm d'objets
entassés pêle mêle dans la hâte d'un
déménagement. Sur une table les reliefs d'un modeste
repas; à terre des piles de livres, de bouquins vétustes
récemment exhumés de la poudre de l'oubli et montant
aussi haut que les colonnnes de porphyre sur lesquelles, suivant
Diodore de Sicile, les habitants du désert Lybien gravèrent
les doubles louanges d'Osiris et de son épouse. D'autres
objets confus, mélangés, disparates, jonchent le
sol; ce sont des vêtements, des coffrets, des ustensiles
de ménage et jusqu'à des caractères d'imprimerie.
Sur les tablettes de la cheminée, tout un peuple de figurines
vert-de-grisées, dieux et déesses contemporaines
des momies, semblent jeter sur ce chaotique assemblage le regard
désillusionné de la Mélancholia d'Albert
Dürer.
Pauvres petits dieux hiératiques et graves faits
pour le rêve monotone et la majesté du désert,
et que le cercle mesquin des choses modernes vient dominer!
Dans un pareil cadre, on ne peut guère échanger
que des idées philosophiques. C'est d'ailleurs une pente
d'esprit commune à M. MacGregor et à moi. Nous y
roulons de compagnie, soucieux de chercher dans les hautes régions
de l'abstrait une explication satisfaisante des mythes et des
symboles de la religion d'Isis.
LA LEGENDE D'ISIS
- "Vous connaissez, me dit mon interlocuteur,
de sa voix gutturale, cette légende d'Isis, si harmonieuse
et si belle dans sa simplicité. La reine a doté
ses sujets de toute la richesse de l'agriculture. La monotone
splendeur des champs de blé couvre l'Egypte, heureuse et
florissante. Et voici que la guerre éclate entre Osiris
et Typhon, son beau-frère. Osiris est vaincu; son corps
mis en pièces et jeté dans les eaux du Nil, qui
porte ses membres épars aux confins du monde. Isis s'en
ira donc sur un vaisseau et sillonera toutes les mers pour tâcher
d'y recueillir les restes de son malheureux époux.
"Osiris d'ailleurs est vengé. Horus, son
fils, lève une armée, taille en pièces les
troupes de Typhon et va immoler son oncle quand Isis intervient;
elle cherche d'abord à empêcher la résistance
du meurtrier d'Osiris, mais celui-ci s'indigne: "Eh quoi!
tu es ma soeur et tu veux me livrer aux coups de ton fils!"
Isis, éperdue se retourne alors vers Horus qui lui dit:
"Tu es ma mère et tu me défends d'accomplir
ce qui doit être accompli, tu m'empêche de venger
mon père". Et la lutte dure, obscure et implacable,
entre le dieu du mal et le dieu de la justice; elle dure tant
qu'Isis intervient et suspend le bras du vainqueur.
"Tels sont les principaux traits de cette légende
d'Isis, qui, vous le savez, remplira le monde beaucoup plus que
les anciens mythes de l'Hellade, car si les dieux de la Grèce
et de Rome étaient à peu près ignorés
des peuplades barbares, il n'en fut pas de même de la déesse
égyptienne. Ce n'est pas seulement dans l'étendue
du monde latin qu'Isis reçoit un culte et est adorée
sous l'aspect d'un vaisseau (navigarium); on est étonné
de retrouver le navire emblématique de la déesse
vers les confins de l'Europe septentrionale où l'influence
romaine n'avait jamais pénétrée. Tacite reconnait
chez les Suèves la barque sacrée.
"Il est certain qu'Isis a des autels en Gaule,
notamment à Melun qui porta longtemps de ce fait le nom
de la déesse égyptienne Isias. Enfin, Lutèce
de même lui voue un culte et peut-être le vaisseau
symbolique des armoiries de la ville de Paris et le nom même
de cette capitale ne sont-ils que des vestiges de l'antique solicitude
d'Isis pour le berceau de la future reine des Gaules.
ORIGINE MERVEILLEUSE DU NOM DE PARIS
"Les archéologues ne sont pas d'accord,
en effet, sur les origines du blason de Paris, qui restent quelque
peu mystérieuses.
"Le navire qui "flotte et ne sombre pas"
fut-il primitivement la simple barque des Marchands sur l'eau
ou le vaisseau divin d'Isis? Cette question ne fut jamais nettement
élucidée et, en tout cas, la seconde solution de
ce problème héraldique important n'a pas été
écartée par des arguments décisifs. Chose
étrange, elle recueille à travers les siècles
des témoignages considérables et des sympathies
imposantes. Elle triompha même un instant, le 25 janvier
1811. C'est qu'elle a séduit la grandiose imagination napoléonienne
qui la consacre solennellement. Et les armes de Paris sont, pour
peu de temps, il est vrai, modifiées comme il suit: "de
gueules à un navire fretté d'argent, à la
proue chargée d'une statue d'Isis, adextré d'une
étoile d'argent et voguant sur des ondes de Mino, au chef
cousu de bonnes villes de France."
"Du fond des âges et de l'obscurité
du passé on eût dit que la déesse étendait
sa main protectrice sur cette ville qu'elle avait sans doute baptisée.
Car il faut noter cette tradition qui veut que le nom de Paris
provienne lui aussi du vaisseau d'Isis. Il s'appelait le Baris,
d'un mot cophte très ancien qui, lui-même, signifie
navire. Ce fut sur une barque de roseaux, nous apprend Diodore
de Sicile, qu'Isis parcouru les mers. Les adorateurs d'Isis auraient
donc, par vénération pour la déesse, donné
à la ville de Lutèce le nom du vaisseau sacré.
Plus tard la prononciation forte des peuples du nord de la Gaule
aurait transformé en "p" le "b" initial.
De là serait né Paris."
LES TRADITIONS ISIAQUES
M. MacGregor me jette un regard triomphant. Cette origine
Isiaque du nom de la capitale des Gaules symbolise évidemment
à ses yeux l'éternité du culte de la déesse
égyptienne. L'immense cité là-bas, sur l'autre
versant de la colline, n'est-ce pas le triomphal vaisseau d'Isis,
l'immortel Baris voguant sur l'océan des âges! Du
sein profond de l'activité moderne quelque chose d'obscur
et de merveilleux s'agite, et c'est dans un jardin de la grande
ville, au pied du Sacré-Coeur victorieux, colossal, l'énigmatique
sourire de la face voilée d'Isis.
Ma foi, l'apparent défi de ce démon sur
le flanc de la montagne où coula le sang